Réfléchir … pour mieux agir
Extraits
du petit livre d'Emmanuel Jaffelin* "Petit
éloge de la gentillesse", François Bourin, Éditeur, 2011, pp.14 à 36.
*Professeur
agrégé de philosophie et animateur d'un atelier à la prison de Sequedin, Nord.
(Les parties en italique
sont des reprises intégrales du texte, celles en caractères romains des résumés
des autres paragraphes. La mise en gras de certains mots est de ma seule
responsabilité. Bernard Sauveur.)
La gentillesse, vertu agissante, entre
sollicitude et respect
Quelle évolution que celle du mot "gentil" à
travers les âges : après le gentilis romain (appartenant à la classe noble de la gens ), le gentil des premiers siècles (impie non-chrétien à
convertir), puis le gentilhomme
à la grande noblesse de cœur de l'époque
classique avant d'être celui à décapiter sous la Terreur, l'homme gentil des
temps modernes risque d'apparaître quelque peu affadi !
Et pourtant, en y réfléchissant un peu, "la conceptualisation de la gentillesse doit permettre de
comprendre qu'elle n'exprime plus une noblesse de sang et de rang, mais qu'elle
manifeste une noblesse d'élan
ouvrant la voie d'un nouvel humanisme". …
[Toute] vertu n'est
pas seulement une attitude, mais, ainsi que le précise le mot latin virtus, une
force. De ce genre de vertu est la gentillesse qui avance discrètement ses
pions sur l'échiquier du monde. …
En quoi
consiste-t-elle ? … Par quel genre d'actes suis-je gentil ? Réponse : par le service … La gentillesse est une servitude
volontaire.… [Le] service rendu doit être non seulement gratuit et
volontaire, mais pesé et soupesé. En effet, à vouloir être gentil, j'ai parfois
la main trop lourde et je vais au-delà du service demandé : j'empiète sur
l'intimité d'autrui. A l'inverse, je peux avoir peur de le froisser et je me
tiens en deçà de ce qu'il attend de moi. Aussi convient-il de distinguer deux
attitudes souvent confondues avec la gentillesse : la sollicitude et le respect. .
La sollicitude se préoccupe du
bien-être des gens qui n'en formulent pas le besoin … Certains diront qu'elle
est la base même de l'éducation [les parents prennent des décisions pour le
bien de leurs enfants] mais elle peut, à l'extrême, déposséder de leur vie [ceux à qui elle s'adresse], telle Amélie Poulain, dans le film de
J.P.Jeunet, qui se comporte comme une
harpie s'acharnant à fabriquer le bonheur des gens à leur insu…. Sous couvert
de bienveillance, … la sollicitude [peut devenir] une dictature à l'eau de rose … se révéler intrusive et forcer
l'intimité d'autrui.
A l'autre bout de
cette échelle altruiste se tient le respect. Encadré par des règlements, le respect
m'interdit certaines attitudes qui pourraient nuire à autrui (exemple :
fumer dans un espace public, parler fort à l'hôpital) … Si toutes ces règles protègent autrui de mon intrusion, elles ne
m'invitent pas à m'ouvrir à lui … [On aboutit à] l'indifférence des rapports sociaux codifiés par des règlements.
Dans les deux cas je
suis en dehors du périmètre de la gentillesse
… La sollicitude se situe au-delà … par son effort poisseux à vouloir
rendre service… Quant au respect, il demeure en deçà … en raison de son
désintérêt pour autrui. Au milieu, je
rencontre la gentillesse qui ne s'enracine ni dans le moi, ni dans la règle,
mais dans la demande qu'autrui
m'adresse. La gentillesse a pour but de rendre service sur la base d'une sollicitation [qui n'est pas
forcément verbale] et non de la
sollicitude…. Je ne suis gentil que par une situation qui me permet de rendre
un service…
J'ai représenté ces
trois formes d'altruisme dans le tableau suivant :
|
Sollicitude
|
Gentillesse
|
Respect
|
Causes
|
Pulsion
|
Demande
|
Règle
|
Effets
|
Intrusion
|
Service
|
Indifférence
|
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